Courrier adressé à tous les parents en septembre 2018

« On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne, si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. »
Georges Bernanos.

Chers parents,

Nous voici rentrés ! La rentrée n’est-elle pas synonyme d’enthousiasme ? Ne doit-elle pas nous réjouir alors que le travail nous attend, car c’est celui de la connaissance de la vérité. N’est-ce pas réjouissant de savoir que nous allons offrir à notre intelligence sa nourriture, son objet propre : le vrai, c’est à dire ce qui la perfectionne, qui l’actualise, ce sans quoi elle reste comme morte ? Si l’on ajoute que cette recherche sera authentique au point d’être en harmonie avec le trésor de la foi ; si d’ailleurs on rappelle qu’elle s’accompagnera de bonnes et profondes amitiés, on n’a plus besoin d’aller outre : il devient manifeste que la rentrée s’accompagne d’enthousiasme.

Au fond cette école nous offre – c’est notre espérance, malgré nos limites – la liberté. Pas un ersatz de liberté, mais l’authentique liberté : cette capacité de se porter vers ce qui est bien ; la liberté des enfants de Dieu. « Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. »

Dans ce cadre, la citation trouvée en tête de ces lignes vous surprend et dénote. Expliquons-nous. Y aurait-il une possible mise en péril de cette liberté chrétienne qui fonde notre enthousiasme ? La chose serait alors à prendre au sérieux.

C’est précisément ce que nous craignons avec le développement de la téléphonie et la transformation des téléphones en smartphones.

De plus en plus tôt, les enfants ont accès à toutes ces technologies. La Wifi est omniprésente, tout est désormais numérique… Nombreux sont ceux qui dès le collège ont accès au chat, aux réseaux sociaux et à internet via le wi-fi… [1]

Il faudrait une étude approfondie pour manifester les conséquences de tout cela. Bornons-nous à mentionner les pertes de temps ainsi occasionnées, la disparition du sens du beau et du réel (c’est une image de soi que l’on fait vivre), les rêveries malsaines et les impuretés graves… Tentations bien réelles et qui peuvent donner lieu à de vraies addictions.[2] Par ailleurs, on ne peut passer sous silence l’isolement auquel conduisent les téléphones et les réseaux sociaux. Les enfants deviennent égocentriques et leurs amitiés très superficielles. Ils tentent de rompre leur solitude dans une course malsaine à la notoriété (fictive), et finissent pas se dégoûter d’eux-mêmes, ce qui est la porte ouverte à des cas de dépression de plus en plus graves et fréquents. De nombreux experts et observateurs ont témoigné que l’accès à ces réseaux et technologies est le plus souvent nuisible aux enfants.

Dans ce contexte, ces paroles de Gustave Thibon, prononcées il y a cinquante ans ne sont-elles pas cruellement actuelles ? « À une époque où l’homme, délivré des servitudes de la matière, devient l’esclave de ses moyens mêmes de libération et où tout se fait sous le signe de la vitesse, il n’y a rien de plus urgent que de reconquérir un peu de vraie liberté, de ne pas se laisser emporter tout entier par le mouvement ; un mouvement où le réflexe prend le pas sur la réflexion, et où le signal remplace le signe. »

Nous savons combien cette question vous préoccupe. Si nous vous écrivons, c’est pour vous exprimer tout notre soutien. Pour vous assurer que vous êtes nombreux à travailler en ce sens et qu’il faut tenir bon pour le bien, la vraie liberté, de vos enfants. Ils vous en remercieront certainement un jour. Sinon, nous risquons de les livrer à « ce vide intérieur, dont le premier symptôme est l’ennui qui dévore beaucoup de nos contemporains, surtout les jeunes, [et qui] est peut-être la plus grande menace qui pèse sur l’homme moderne. »

Cela explique aussi les nouvelles directives dont vous avez probablement déjà pris connaissance (interdiction à l’école des téléphones ayant un accès internet jusqu’en fin de seconde) et qui, nous l’espérons, vous aideront à mettre plus facilement les enfants dans un environnement favorable au travail, à la réflexion et à la méditation. Ces mesures – prises tardivement ce dont nous vous prions de nous excuser – porteront des fruits dans la mesure où nous nous trouverons en phase sur cette question importante.

La jeunesse s’accompagne souvent de faiblesse ; c’était la pensée de don Bosco qui cherchait à créer un environnement « où le péché devienne presque matériellement impossible ».

Nous espérons que notre lettre confortera vos sentiments en cette matière. Nos fonctions à Saint-Dominique nous offrent un petit promontoire duquel on peut apercevoir certaines choses qu’il serait bien coupable de taire…

Soyez assurés, chers parents, de notre profond et entier dévouement.

Michel Valadier, directeur du groupe scolaire,

Chanoine Robert Vignaud, aumônier.

[1] La décision du ministre de l’Éducation Nationale d’interdire les téléphones portables dans l’enceinte des établissements à la rentrée de septembre montre bien que ce problème est clairement identifié. Sans parler des déclarations régulières de fondateurs ou de pionniers des réseaux sociaux, qui confessent être effrayés par ce qu’ils ont créé, quand ils n’avouent pas ingénument interdire l’usage des smartphones à leurs propres enfants…

[2] Nous admettons bien volontiers qu’il est parfois prudent de doter un enfant d’un téléphone, mais, de nouveau, il en existe sans internet et sans wifi.